Justice22 juin 20130La Prison, une nécessité pour la République

Pierre Victor Tournier est directeur de recherches au CNRS et spécialiste de la démographie pénale. Son dernier livre, « la Prison, une nécessité pour la République » (Buchet Chastel 2013) constitue une prise de position contre les abolitionnistes de la prison, un recueil de faits et de chiffres sur la peine de privation de liberté et un plaidoyer pour que soit respecté le droit des prisonniers à la dignité.

 L’auteur est convaincu que la peine d’enfermement est nécessaire à la République. Il règle ses comptes avec les abolitionnistes, ceux qui considèrent que la prison est un traitement dégradant qui sera un jour supprimé comme l’ont été, auparavant, l’esclavage, la torture et la peine de mort. Tournier pense que leur position est intenable : que se passera-t-il « le jour d’après » l’abolition ? Quelles peines de substitution propose-t-on qui concilient la protection effective de la société, la sanction du condamné, les intérêts de la victime et la réinsertion du délinquant ou du criminel ? Les abolitionnistes ne font-ils pas le jeu des courants sécuritaires en renforçant le mythe d’une justice laxiste, plus encline à plaindre les coupables qu’à épauler leurs victimes ?130617_Prison2

Respect de la dignité

 Mais s’il défend la prison, il milite aussi pour que celle-ci soit respectueuse de la dignité des détenus. La dignité, c’est avoir le sentiment d’être traité comme un être humain (salubrité, hygiène, sécurité) et aussi le sentiment que les autres portent sur vous un regard d’humain à humain. Cela passe, selon Tournier, par l’élimination de la surpopulation carcérale, l’encellulement individuel, des activités socialisantes hors cellule pendant la journée, la constitution d’un revenu minimum pour la sortie et la participation des détenus à l’organisation de la détention. L’auteur souligne les freins considérables qui s’opposent à ce programme, tant sur le plan budgétaire (notamment l’encellulement individuel) que culturel (notamment l’expression collective des détenus sur leurs conditions de détention).

 Pierre Victor Tournier s’étend sur l’importance de la sécurité au sein des prisons. On sait qu’il s’y commet des homicides, des actes de torture ou de barbarie, des agressions sexuelles et des rackets. En 2011, il avait proposé la création d’un observatoire statistique de la violence en prison. Sa proposition fut rejetée par l’administration pénitentiaire, notamment parce que son périmètre incluait les violences commises par les surveillants. Pour l’auteur, le respect passe d’abord par la transparence et la recherche d’une connaissance partagée des faits et des chiffres.

 Des faits et des chiffres

 C’est à l’exposé de données factuelles et chiffrées qu’est consacrée la majeure partie de l’ouvrage. Voici quelques-unes des données qui m’ont semblées plus importantes ou étonnantes.

 Au premier janvier 2012, il y avait 246.843 personnes « sous main de justice », correspondant à 3.4‰  de la population française. Ces personnes étaient soit des personnes en attente d’un jugement définitif (prévenus), soit des personnes exécutant une peine (condamnés).  Parmi les personnes sous main de justice, 73.780 étaient « écrouées », c’est-à-dire placées sous la responsabilité d’un établissement pénitentiaire. Mais les écroués se partageaient eux-mêmes entre 64.787 détenus et 8.993 personnes en milieu ouvert, la plupart sous surveillance électronique. Les prévenus représentaient 22% de la population sous écrou. Moins de 4% de la population sous écrou est féminine.

 La durée moyenne en détention est difficile à calculer avec précision, car les statistiques officielles portent sur le concept d’écrou, et non d’enfermement. Toutefois, en se fiant sur des estimations, on observe une augmentation constante de cette durée : 4.3 mois en 1975, 6.2 en 1985, 7.6 en 1995, 8.4 en 2005 et 9.6 mois en 2012.

 Autre chiffre intéressant : selon une étude réalisée en 1999, 51% des détenus étaient fils d’un père né hors de France, et ce chiffre s’établissait à 61% pour la tranche d’âge 18 – 25 ans.

 Le taux de retour sous écrou (récidive) est élevé : 46%. Mais il varie considérablement selon l’âge des personnes, la nature des infractions qu’elles ont commises, l’existence ou non d’un passé judiciaire, l’exercice ou non d’une profession. Le taux est nul pour les détenus de plus de 30 ans à leur libération, qui n’ont pas de passé judiciaire et exercent une profession.

 Pour une peine sans référence à la prison

 Pierre Victor Tournier invite à une réflexion sur la peine encourue pour l’usage du cannabis, jusqu’à un an d’emprisonnement. En France, on estime que 5.1 millions de personnes consomment du cannabis occasionnellement ou régulièrement. Or, la peine de prison n’est appliquée qu’exceptionnellement, dans 0.7‰ des cas, ce qui montre combien le droit est loin de la réalité. L’auteur ne prend pas parti en faveur de la dépénalisation, mais d’une redéfinition des peines encourues.

 Dans le cas du cannabis comme dans celui d’autres délits, Tournier propose de créer dans le droit pénal une nouvelle peine qu’il nomme « contrainte pénale communautaire ». Actuellement, la peine de référence est la prison : quand le juge accorde un sursis ou un aménagement de peine, c’est toujours la peine d’enfermement qui sert d’étalon. La contrainte pénale communautaire pourrait inclure des obligations, des interdits et des mesures de surveillance et serait toujours accompagnée de procédures d’aide et de supervision. En cas de non respect par le condamné des conditions de cette peine, un nouveau jugement aurait lieu, non sur les faits eux-mêmes, mais sur la peine à accomplir (qui pourrait être la détention). Cette idée figure dans la récente « conférence du consensus » sur la prévention de la récidive sous le nom de « probation ».

 « La Prison, une nécessité pour la République » se présente comme un patchwork qui embrasse beaucoup d’aspects de la politique pénitentiaire, au-delà-même de la prison. Seule une partie de l’ouvrage étaye la thèse selon laquelle la République ne peut se passer de la peine d’enfermement. Mais ce côté « fourre-tout » a aussi un avantage : le lecteur trouve en moins de 250 pages tout ce qu’il voudrait savoir sur la prison, y compris une bibliographie très complète d’ouvrages en français.

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