Depuis deux mois, je visite chaque semaine en prison des détenus, qu’ils soient prévenus ou condamnés. Je fais l’expérience d’une nouvelle qualité du temps : le temps mou.
Le visiteur de prison n’est pas contraint par des jours ou des horaires de parloir. Comme les avocats, il peut venir en prison le matin ou l’après-midi aux moments qui lui conviennent.
Il lui faut franchir un contrôle de sécurité de type aéroport, puis des sas dont une porte ne peut s’ouvrir que lorsque l’autre est close. A l’étage des parloirs, il attend que les surveillants aillent chercher les détenus à visiter. Il arrive que ceux-ci soient en formation ou en atelier, et l’entretien n’a alors pas lieu. Ils peuvent être en promenade, et il faut alors patienter hors de l’enceinte carcérale et se soumettre de nouveau à la procédure d’entrée.
En présence de la personne détenue, il n’y a pas d’agenda, pas de durée fixée, pas de chose à faire. Il s’agit seulement d’écouter, pendant un quart d’heure, une heure ou plus. Ce qui va se passer entre le prisonnier et visiteur n’est pas écrit d’avance. Un intervalle de temps s’ouvre, vide, sans autre limite que la fin des parloirs à 17h.
Le temps du visiteur est un temps mou, fait d’attentes d’une durée imprévisible et de rencontres qui peuvent être sèches comme une journée d’encellulement oisif, futiles comme un flot de paroles vaines, anxieuses à l’approche d’un procès ou denses de vraies émotions partagées.
Parler de temps mou peut sembler péjoratif. Mais la référence aux montres molles de Salvador Dali nous met sur la piste du surréalisme. Hors de la prison, le visiteur a des rendez-vous, des séances de cinéma, des horaires de train, des dates limites, des anniversaires à souhaiter. Dans le monde réel, il vit un temps borné, lourd, tranchant. La prison est comme un espace irréel. Les limites de durée s’effacent : on apprend à attendre patiemment qu’une porte s’ouvre, qu’un détenu soit amené au parloir, qu’il veuille ou non dire quelque chose, et que d’un côté ou de l’autre de la table, on réalise que l’entretien est terminé.
A la radio et à la télévision, Jean-Christophe Rufin s’exprime actuellement sur son expérience du pèlerinage de Compostelle. Il évoque une sorte de dissolution du temps, lorsqu’après des dizaines de jours de marche la seule chose qui compte est de continuer à avancer. Le temps mou constitue pour le visiteur de prison une expérience spirituelle, qui a peut-être quelque chose en commun avec celle du pèlerin. C’est du temps gratuit, non programmé, ouvert. C’est du temps désencombré où peut advenir de l’inattendu.
Excelente Xavier