JR à la Base sous-marine de Bordeaux

La Base sous-marine de Bordeaux présente jusqu’au 28 septembre une vidéo du photographe de rue JR sur Ellis Island, avec Robert de Niro dans le rôle du narrateur.

 Lorsqu’il pénètre dans la Base sous-marine de Bordeaux, le visiteur a le sentiment de s’enfouir dans les tréfonds d’une caverne. C’est aussi une sorte de caverne qu’arpente Robert de Niro lorsqu’il déambule dans les couloirs vides du centre de triage des migrants qui fonctionna à Ellis Island, dans la baie de New York, de 1892 à 1954. Plus de douze millions d’immigrants y transitèrent, dont beaucoup se virent refuser l’entrée sur le territoire américain. Continuer la lecture de « JR à la Base sous-marine de Bordeaux »

Magellan par Stefan Zweig

La biographie de Magellan par Stefan Zweig retrace une épopée palpitante et présente un personnage exceptionnel.

Il y a quelques semaines, faisait escale à Bordeaux la réplique de la Nef Victoria, le seul des cinq vaisseaux de Magellan qui accomplit le tour du monde. L’émouvante visite de cette coque de noix héroïque m’a donné envie de lire une biographie de Magellan. Celle écrite par Stefan Zweig en 1938 s’est imposée comme une évidence. Continuer la lecture de « Magellan par Stefan Zweig »

Garibaldi

Dans « Garibaldi » (Collezione Identità Italiana, Il Mulino, 2010), Andrea Possieri situe Giuseppe Garibaldi et son mythe dans leur contexte historique.

 Le livre commence par un extrait de la Dottrina Garibaldiana (la Doctrine Garibaldienne), livre paru après l’expédition des Mille de 1860 :

 « – Qui est Garibaldi ?

          Garibaldi est un esprit extrêmement généreux, béni du ciel et de la terre

          Combien y a-t-il de Garibaldi ?

          Il n’y a qu’un seul Garibaldi

          Où est Garibaldi ?

          Garibaldi est dans le cœur de tout italien honnête, à condition qu’il ne soit ni une mauve ni un pavot

          Combien de personnes y a-t-il en Garibaldi ?

          En Garibaldi il y a trois personnes réellement distinctes.

          Quelles sont ces trois personnes ?

          Le Père de la patrie, le Fils du peuple, l’Esprit de la liberté »

 Ce texte dénote la ferveur populaire qui a accompagné Garibaldi et aussi la relation de fascination et de haine du héros et de ses disciples à l’égard de l’Eglise Catholique, dont on reprend mot pour mot les termes du catéchisme tout en en changeant l’objet.

 L’ouvrage d’Andrea Possieri s’adresse à des lecteurs déjà familiers du personnage de Garibaldi. Une chronologie et une courte notice biographique sur les principaux personnages m’auraient été utiles.

 Rappelons donc que Garibaldi est né en 1807 à Nice, alors part de l’Empire Napoléonien. A l’âge de 15 ans, il s’embarque comme mousse sur la marine marchande. Il gagne ses galons de capitaine de seconde classe, dix ans plus tard, après avoir navigué sur les routes maritimes de la Méditerranée et de la Mer Noire. A l’âge de 44 ans, réfugié au Pérou après l’échec de la République Romaine de 1848, c’est son métier de navigateur qu’il embrassera de nouveau.

 Garibaldi a été qualifié de « héro des deux mondes ». Il a en effet gagné ses galons de chef de guerre au Brésil dans la guerre de sécession du Rio Grande, puis en Uruguay à la tête de la Légion italienne. Possieri le définit joliment comme un héros « amphibie » : il combat dans la marine, mais au contact des gauchos uruguayens il apprend aussi les longues chevauchées, les marches de nuit, les techniques de la guérilla. En Amérique latine, il adhère à la franc-maçonnerie et épouse la cause de l’indépendance italienne. A partir de 1848, la réunification de l’Italie, même sous la coupe de la monarchie piémontaise, devient son unique objectif. Et cet objectif inclut naturellement la ville de Rome et les Etats Pontificaux.

 C’est une véritable vie de légende qu’a vécue Garibaldi, d’une bataille à l’autre : les batailles de Lombardie et de la République romaine en 1848, la fuite rocambolesque par les Apennins et la mort de sa femme Anita en 1849, la seconde guerre d’indépendance de l’Italie en 1858 – 1859, l’expédition des Mille aboutissant à l’effondrement du Royaume des Deux Sicile en 1860, la défaite dans l’Aspromonte en 1862, la campagne de Vénétie en 1866, la défaite de Menana infligée par les troupes franco-pontificales près de Rome en 1867, et finalement la participation à la guerre de la France contre les Prussiens en Franche Comté et Bourgogne en 1870.

 A l’issue de sa campagne de France, Garibaldi fut élu député à l’Assemblée Constituante siégeant à Bordeaux. Le 13 février 1871, raconte Possieri, « il fit son entrée dans la salle de l’Assemblée « vêtu de sa chemise rouge et de son grand chapeau de feutre ». La majorité catholique et conservatrice des députés l’accueillit dans un climat de vibrantes protestations car à leurs yeux il continuait à être un aventurier à la recherche de gloire personnelle et un ennemi historique de la France. Garibaldi, qui donna immédiatement sa démission et rejoignit Marseille le soir même, fut passionnément défendu par Victor Hugo dans un discours parlementaire par lequel celui-ci soutint que non seulement il avait été le seul à venir au secours de la France, mais qu’il était le seul général à ne pas avoir été vaincu ».

 Garibaldi avait trouvé dans l’île de Caprera, au nord de la Sardaigne, un point d’attache. C’est là qu’il mourut le 2 juin 1882. Il avait vécu à Nice, Gênes, Constantinople, Montevideo, New York, en mer et sur d’innombrables routes et chemins. Il fut un héros de la mondialisation, avant que le terme fût créé.

Edvard Munch à la Tate Modern

 

Edvard Munch, la jeune fille malade, 1907

La Tate Modern présente jusqu’au 14 octobre une exposition intitulée « Edvard Munch, The Modern Eye » (l’œil moderne).

 L’originalité de l’œuvre d’Edvard Munch (1863 – 1944) est qu’elle nait d’obsessions d’un homme mal dans sa peau et qui, loin de fuir son mal-être, a le courage de l’analyser en profondeur par l’expression artistique. « L’enfant malade » (1883), dont l’exposition de la Tate présente deux réélaborations plus tardives, dont l’une de 1907, est sa première œuvre maîtresse. Une jeune fille est assise dans son lit, redressée sur des coussins, et regarde vers la fenêtre. Un second personnage, une femme, est agenouillée auprès d’elle, désespérée, et lui tient la main. Les cheveux roux de la jeune fille semblent couler comme du sang, alors qu’une mèche reste collée sur l’oreiller. La jeune fille, c’est la sœur de Munch, de deux ans son aînée, morte de la tuberculose alors qu’il avait treize ans.

 Le dernier tableau de l’exposition le présente très âgé, coincé dans son atelier entre une horloge, qui symbolise le peu de temps qui lui reste à vivre, et un lit d’hôpital bariolé. Le peintre est debout, très droit dans l’obscurité, alors que les œuvres accrochées au mur en arrière-fond sont en plein lumière.

 Munch regarde en face la mort, la maladie, la déchéance morale de l’alcoolique qui s’oublie au point de faire feu sur un ami. Il les dépeint avec l’objectivité de sentiments violents qui prennent le spectateur aux tripes. Peu avant d’être hospitalisé, en 1908, pour une profonde dépression, il peint des dizaines de fois une jeune fille debout, nue, en train de pleurer. Victime d’une hémorragie dans son œil droit en 1933, angoissé à la perspective de devenir aveugle, il peint ce qu’il voit, en cachant son œil gauche pour que la représentation soit plus fidèle. S’analyser dans complaisance, encore et toujours.

 Les commissaires de l’exposition ont souhaité mettre en évidence l’influence de la photographie et du cinéma dans l’œuvre de Munch. Une salle intitulée « espace optique » établit un parallèle convainquant entre des films du début du cinéma montrant des foules avançant vers la caméra et des tableaux comme « ouvriers de retour à la maison » de 1913 – 1914. Mais les nombreux autoportraits, et surtout une salle projetant des films amateurs réalisés par Munch, auraient pu être absents sans que l’intérêt de l’exposition en souffrît.

 C’est la lucidité et le courage d’un homme souffrance, son entêtement à faire partager par la peinture son expérience existentielle qui rendent cette exposition magnifique.

Dernier auto-portrait d'Edvard Munch