Cinéma2 août 20200Toni Erdmann

Arte TV a récemment diffusé « Toni Erdmann », film de Maren Ade (2016).

 Ines Conradi (Sandra Hüller), une Allemande de 37 ans, est consultante dans un cabinet spécialisé en restructurations industrielles. Depuis un an, elle est détachée à Bucarest pour mener un projet dans une société pétrolière, avec à la clé la suppression de centaines d’emplois.

 De passage chez son père Wienfried (Peter Simonischek), elle est harcelée au téléphone et n’a pas un moment de libre : la négociation avec le client roumain entre dans une phase critique. Machinalement, elle invite son père à Bucarest. Déstabilisé par la mort de son chien adoré, celui la prend au mot et s’invite chez elle de manière impromptue.

Wienfried n’est pas un personnage banal. Il adore se déguiser et s’inventer des avatars. Comme la règle dans le milieu professionnel d’Ines est d’avoir un coach qui enseigne au jour le jour les voies de la performance, il devient Toni Erdmann, un coach excentrique mais admiré par les hommes d’affaire, y compris, fait-il croire, par Henneberg (Michael Wittenborn), le client d’Ines.

 Ines et Wienfried ne peuvent pas être plus dissemblables. Elle, sérieuse à l’excès, engoncée dans des jupes trop serrées, soucieuse de se conformer en tous points à son statut de cadre supérieur. Lui, d’apparence loufoque avec sa perruque échevelée et ses fausses dents abîmées, ne pense qu’à plaisanter. Proche des gens, l’idée de les licencier lui est insupportable. Avec Ines et ses collègues de travail, ses blagues tombent bien souvent à plat.

L’armure se brise lorsque le père demande à la fille si elle est heureuse et que celle-ci reste silencieuse. Dans une fête où il s’invite avec Ines présentée comme sa secrétaire, il obtient de sa fille qu’elle chante une chanson déchirante sur le destin, qu’il accompagne au piano. Lorsqu’Ines, encouragée par son patron, organise chez elle une réception pour resouder son équipe, le code vestimentaire finit par devenir… la nudité !

 J’ai trouvé formidable ce film atypique, où j’ai retrouvé le monde professionnel avec ses faux-semblants, ses jeux de rôle, ses codes implicites. Sans cesse, les personnages se trouvent gênés, par une plaisanterie incomprise, par la peur de décevoir ou de déchoir. Et pourtant, souterrainement, doucement ils se mettent en mouvement l’un vers l’autre.

 Le spectateur ignore si le cheminement d’Ines vers sa liberté aura des lendemains. Elle se prépare à quitter Bucarest et travailler à Singapour pour un cabinet international : échappera-t-elle à l’engrenage ? Une force du film est sa complexité : il pose davantage de questions qu’il n’apporte de réponses. Sans cesse pris à contrepied, surpris par de multiples rebondissements, le spectateur ne se rend pas compte de sa durée, 2h42.

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