Cinéma28 septembre 20110Une séparation

Le film « Une séparation » du cinéaste iranien Asghar Farhadi, Ours d’Or au Festival du film de Berlin, connaît un succès inattendu en France : un million d’entrées, grâce à une presse unanime et au bouche à oreilles.

 Même si « l’axe du mal » du président George Bush faisait sourire en France, il en reste quelque chose dans nos mentalités. Nous pouvons avoir de l’Iran une image déformée, celle d’un gigantesque asile de fanatiques religieux menaçant la paix mondiale. Le film d’Asghar Farhadi n’esquive pas la difficulté de vivre dans ce pays : Simin demande le divorce car elle ne supporte pas que son mari ne saisisse pas la chance de partir à l’étranger. Il affronte aussi la question de l’influence de la religion : Razieh ne se résout à laver le vieux monsieur dont elle a la garde que lorsqu’au téléphone un imam lui garantit que, dans cette situation d’urgence, elle ne commet pas un péché. Les femmes portent le voile, avec élégance mais en toutes circonstances. Causer une fausse couche est assimilé à un infanticide, et la prison pour dettes existe comme du temps de Dickens en Angleterre.

 Mais la première révélation du film, c’est que nous nous sentons proches des personnages. Nader et Simin sont un couple moderne, vivent dans un appartement confortable, possèdent deux voitures récentes, sont attentionnés pour leur fille Termeh et soucieux de son éducation, vivent au jour le jour le calvaire du naufrage du père de Nader dans la maladie d’Alzheimer. Hodjat et Razieh sont d’une classe sociale pauvre, et rencontrent des difficultés bien connues en France : les crédits à rembourser, le chômage, les longs trajets en autobus pour un maigre salaire.

 Nader et Simin sont faits pour vivre ensemble : jeunes, beaux, intelligents, exigeants sur le respect des valeurs. Le problème est que leurs valeurs peuvent diverger. Nader place au premier rang la fidélité a son père sénile ; Simin, sa liberté de femme. Simin part vivre chez ses parents. Nader reste chez lui, avec à charge son père et sa fille adolescente. Il recrute une aide à domicile, Nazieh. Lorsqu’il trouve son père attaché à son lit à moitié asphyxié, il expulse celle-ci de chez lui manu-militari. Elle tombe dans l’escalier. Elle fait une fausse couche. Hodjat, le mari de Nazieh accuse Nader d’avoir provoque la mort du bébé. Nader savait-il que Razieh était enceinte ? Quelle urgence avait poussé Razieh à laisser le père de Nader seul et à l’attacher par précaution ? Est-ce la chute dans l’escalier qui a provoqué la fausse-couche ?

 Nader et Simin se trouvent pris dans un dilemme : payer à Hodjat une somme qui le convaincra de se désister de sa plainte ou résister au chantage de cet homme qui, chaque jour, se poste à la sortie de l’école de leur fille comme une vivante menace ? De son côté, Razieh est sommée de jurer sur le Coran que la fausse couche a été provoquée par la violence de son ancien patron ; mais si elle parjure, sa mauvaise action peut entrainer le malheur pour sa propre fille.

 Nader et Simin sont faits pour vivre ensemble, et leur première séparation n’était pas faite pour durer. Mais dans l’épreuve, ils réagissent si différemment que le gouffre spirituel qui s’est créé entre eux est devenu insurmontable. Le réalisateur Asghar Farhadi a confié le rôle de Termeh à sa fille. L’adolescente tient probablement le rôle central, polarisant et cristallisant les tensions. Dans la dernière scène du film, le juge du divorce de ses parents lui demande si elle a choisi avec qui elle voulait vivre. « Oui, j’ai choisi », répond-elle. Dans le désastre familial, elle s’affirme comme une jeune femme libre.

 Ce qui fait la beauté de ce film, c’est l’humanité des personnages, leur volonté de tout faire pour le bien de ceux qu’ils aiment, leur respect pour autrui, leurs doutes. Le jeu des acteurs exprime de façon magnifique les convictions qui les mènent à l’impasse, leur force et leur fragilité.

 Le succès du film en France souligne la force de la culture et de l’industrie cinématographique dans notre pays. En Grande Bretagne, « une séparation » a été retiré de l’affiche après quelques semaines d’exploitation et 70.000 spectateurs. L’engouement du public français pour ce film iranien de deux heures en langue originale sous-titrée a quelque chose d’unique et d’admirable.

 Photos du film « une séparation »

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