Ile de la Réunion17 janvier 20160La Réunion au Quotidien

Dans l’édition du 11 janvier 2016 du Quotidien de la Réunion apparaissent deux visages contrastés : île à peurs, île combative.

Deux journaux locaux se partagent les lecteurs de l’Île de la Réunion : le Journal et le Quotidien. Un voyage en avion jusqu’en métropole m’a donné l’occasion de dépouiller l’édition du Quotidien du 11 janvier. Sur 44 pages, 26 étaient consacrées à des informations de caractère local : actualités, informations pratiques (météo, programmes télé, mouvements des avions etc.), économie, sport.

Deux articles captent bien la culture de l’île. L’un est consacré à la demande de mise en liberté de Marlène Ouledi. « La belle plante dionysienne (de Saint-Denis de la Réunion), écrit Le Quotidien, est soupçonnée d’avoir assassiné son mari Éric Samy, entrepreneur sainte-marien (de Sainte-Marie) retrouvé mort dans le lit conjugal dans la nuit du 19 au 20 novembre 2013. » Les analyses toxicologiques « concluront à un empoisonnement par un mélange contenant notamment du bois de rempart, un végétal péi (= local, du pays) particulièrement toxique.

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Le culte syncrétique à Saint-Expédit, une manifestation de « l’île à peurs »

« Cette décoction avait été élaborée par l’amant présumé de Marlène Ouledi, François Chéry, mis en examen, lui, pour complicité d’assassinat et également placé en détention provisoire. Se présentant comme un « tisaneur – sorcier », le quadragénaire a toujours confirmé sa participation au funeste dessein d’une maîtresse avec laquelle il a « été couillon » : c’est sous sa pression qu’il aurait agi, parce qu’elle lui aurait fait miroiter une part de l’héritage d’Éric Samy »

Outre le style fleuri de l’article (belle plante, funeste dessein, couillon…), l’évocation d’un arrière-plan de sorcellerie est caractéristique de l’âme réunionnaise. On a parlé de « l’île à peur » (Prosper Eve, Île à peur, la peur redoutée ou récupérée à la Réunion des origines à nos jours, Océan Editions, 1992). Les peurs sont multiples et ataviques. Pendant des siècles, la population a vécu dans la terreur des cyclones, des épidémies, de la famine, de l’arbitraire des maîtres. Au Cap Méchant, une illuminée récite depuis des années aux promeneurs une tirade où elle attribue toutes sortes de cataclysmes à la vengeance du diable. Le recours aux exorcistes et aux sorciers est solidement ancré dans le mode de vie réunionnais et a résisté aux anesthésiants des peurs collectives que sont la sécurité sociale et les allocations.

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Publicité pour la bière Dodo de Bourbon à La Réunion

Parmi les fléaux attribuables à la vengeance du diable se trouve l’alcoolisme. L’article du Quotidien indique que 80% des Réunionnais consomment actuellement de l’alcool, et que 5 à 10% des consommateurs ont un problème avec l’alcool. Une association, « Les maillons de l’espoir », vient de réaliser pour la deuxième année consécutive le tour de l’île (250km) à vélo « pour montrer que tomber dans l’alcoolisme n’est pas une fatalité ». Une quinzaine de malades alcooliques abstinents, hommes et femmes, ont participé à cette opération. « Sur le chemin, les maillots orange ont été largement encouragés par les automobilistes et une centaine de personnes sont venues les rencontrer. »

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Les cyclistes des « maillons de l’espoir »

C’est un autre aspect de la culture réunionnaise qui apparait ici : résolument moderne, utilisant la geste sportive comme véhicule d’un message ; combative, résolue à ne pas se laisser asservir par le diable et les peurs, décidée à inventer un avenir.

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