LivresMonde ArabeReligion11 mai 20170Charles de Foucauld au regard de l’Islam

« Charles de Foucauld au regard de l’Islam » est la réédition per Desclée de Brouwer d’un texte publié en 1974 par Ali Mérad.

Deux faits expliquent cette réédition : l’actualité du questionnement sur l’Islam, dans le contexte de « radicalisation » d’une partie de la jeunesse en France ; et la béatification de Charles de Foucauld par le pape Benoît XVI en 2015.

Mon intérêt pour lui dérive de celui pour Isabelle Eberhardt. Lorsque celle-ci mourut dans une inondation à Aïn Sefra le 21 octobre 1904 à l’âge de 27 ans, Charles de Foucauld, alors âgé de 46 ans, venait de parcourir le Hoggar à la recherche d’un lieu pour établir un ermitage.

Outre leur passion pour le désert algérien, Isabelle et Charles avaient entre eux un lien ténu : Isabelle reçut de la veuve du marquis de Morès, des fonds pour aller à la recherche de ses assassins en Tunisie. Personnage louche, fondateur d’un parti antisémite en Algérie, Morès avait été compagnon de chambrée de Foucauld à Saint Cyr.

Charles de Foucauld est un personnage controversé. Certains le présentent comme un homme d’une très grande envergure spirituelle, se mettant comme Jésus à la dernière place, respectueux des Touaregs au milieu desquels il avait choisi de vivre. Pour d’autres, il était un rouage de la colonisation dans le sud-algérien, et même un agent de renseignement des forces françaises d’occupation.

Avant d’aller plus avant dans son itinéraire spirituel, soulignons qu’il fut un remarquable scientifique dans le domaine de la géographie (exploration du Maroc sous l’habit d’un Juif quand il avait 23 ans), de l’ethnologie et de la linguistique (élaboration d’un dictionnaire touareg – français et recueil de poésies touareg).

Étudiant puis jeune officier, Foucauld se définissait comme agnostique. Son retour à la religion doit probablement beaucoup à son expérience du sud algérien, « ce pays de lumière et de silence (…) On peut imaginer, écrit Ali Mérad, ses frémissements intérieurs devant le spectacle de la prière musulmane en plein air, comme en prise directe avec le monde surnaturel, et devant les intonations bouleversantes du chant du muezzin, emplissant l’immensité tranquille de l’espace africaine de ces paroles éternelles : « Allâh Akbar ».

Cependant, dit l’auteur, « si Charles de Foucauld a fait preuve de bienveillance et de constante disponibilité à l’égard des Touaregs, on peut se demander s’il a réellement éprouvé pour eux une grande estime, tant sa vision de la société musulmane saharienne était entachée d’un profond pessimisme. » Il cite une lettre de 1907, dans laquelle il parle de « ces pays où il n’y a pour ainsi dire que du mal, d’où le bien est à peu près totalement absent : tout y est mensonge, duplicité, ruse, convoitise de toute espèce, violence, avec quelle ignorance et quelle barbarie ! »

Foucauld était respecté par les Touaregs comme un « marabout chrétien », avec la particularité qu’il entendait servir, alors que les marabouts, chefs de confréries telles que celle à laquelle avait adhéré Isabelle Eberhardt, étaient servis.

Il suivait une stratégie « d’apprivoisement ». Une fois acquise l’amitié des indigènes et neutralisées leurs préventions, il pensait pouvoir passer à leur évangélisation. Il n’en eut jamais l’occasion, car il pensait, à tort, que la culture musulmane des Touaregs était un vernis superficiel.

Il approuvait pleinement l’idée que la France était investie d’une mission civilisatrice en Algérie. Ami et allié des militaires français, il n’hésitait pas à s’opposer à eux lorsqu’ils utilisaient de manière disproportionnée la manière forte. Mais, imprégné des préjugés de son époque, il ne doutait pas de la légitimité de l’entreprise coloniale.

« Devant tant de sacrifices, tant d’efforts en vue d’un rapprochement universel, fût-ce dans le dessein d’apprivoiser autrui pour l’unir à la famille du Christ, faut-il tenir rigueur à Charles de Foucauld d’un style d’apostolat marqué par une conception simpliste des valeurs morales et religieuses de l’autre ? », demande Ali Mérad. Il reste, conclut-il « cette aventure humaine exceptionnelle, et qui ne cessera d’interpeller la conscience musulmane tout autant que la conscience chrétienne. »

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