LivresSociété27 octobre 20150Guérir les addictions chez les jeunes

Dans « Guérir les addictions chez les jeunes » (Desclée de Brouwer, 2014), le psychiatre lillois Vincent Dodin répond à cent questions sur la nature, l’origine et le traitement des addictions.

« Transhumances » a récemment proposé une note de lecture de « Victor et ses démons », roman dans lequel Vincent Dodin transpose son expérience de praticien. « Guérir les addictions chez les jeunes » traite du même sujet mais sous un angle pédagogique.

La première partie de l’ouvrage décrit ce que sont les addictions aux produits (alcool, cigarette, cannabis, héroïne, cocaïne, hallucinogènes, drogues de synthèse et médicaments psychotropes) puis les addictions sans produits (cyberaddictions, troubles des conduites alimentaires, jeux, achats compulsifs, travail, sport).

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Addiction aux écrans, par Joe Berner et Pascal Wyse, dessin paru dans The Guardian

Il replace ensuite les addictions dans le contexte de la société d’aujourd’hui : « en quelques décennies, nous avons glissé d’une économie psychique dominée par la nécessité de refouler ses désirs à une organisation psychique « addictive » commandée par la nécessité de jouir à tout prix et sans délai de tout. » La société actuelle constitue donc un terrain fertile pour la multiplication des addictions.

Mais celles-ci sont aussi vieilles que l’humanité. Elles prennent leur source dans le besoin qu’ont certains individus de recréer artificiellement un « périmètre de sécurité » dont ils ont été privés dans leur tendre enfance et plus tard au cours de leur processus de développement. « Par le mystère de la procréation, écrit Vincent Dodin, nous recevons deux vies : la première est utérine et aquatique, et la seconde est terrestre et aérienne. La naissance est donc une métamorphose aussi radicale que celle de la chrysalide devenant papillon. Elle nous fait passer d’un environnement liquide à un environnement aérien. Par sa lente progression pelvienne, puis sa plongée brutale dans le monde aérien, l’accouchement nous confronte à une première expérience de la mort dont la seule échappatoire est le déploiement des alvéoles pulmonaires et la redistribution du système circulatoire. De cette première expérience de la naissance, le corps (la tête, le cœur, les poumons, le cerveau …) garde en mémoire des pressions mécaniques et des changements physiologiques radicaux qui sont en lien avec ces angoisses d’anéantissement. Le nouveau-né est un sujet qui se construit sur cette expérience traumatique ».

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Chronique de la vie d’un héroïnomane, par le photographe Graham MacIndoe, Photo parue dans The Guardian

Il est vital que l’enfant bénéficie d’une sécurité de base « dès la naissance, quand il passe d’un état anti-gravitaire dans un milieu fermé, stable, chaud et moelleux (l’utérus) à un état gravitaire dans un espace ouvert, variable et sans limite. Son seul recours pour évacuer cette expérience angoissante, c’est la mère, qui doit être capable de la contenir, de la modifier et de la restituer à son bébé sous une forme d’ordre, d’harmonie où l’angoisse a été désactivée. »

Mais la relation protectrice de la mère avec son enfant doit elle-même laisser la place à un tiers. « Nous naissons du néant maternel pour retourner dans le néant terre. Entre les deux s’ouvre une parenthèse où intervient la loi du tiers : c’est-à-dire de celui ou celle qui a autorité pour imposer à l’enfant de quitter l’utérus pour laisser sa trace dans l’histoire des hommes avant de repartir de les entrailles de la terre ou – peut-être est-ce la même chose – dans les entrailles de la mère. Le tiers ne recherche pas le risque zéro pour les individus, mais l’apprentissage de la gestion du risque. Et la loi du tiers définit le périmètre de sécurité à l’intérieur duquel l’individu fera cet apprentissage. Si on n’apprend pas à gérer le risque, on ne peut pas sortir symboliquement de « l’utérus ». On ne quitte pas son « tombeau » symbolique ! »

L’addiction nait d’une profonde insécurité que la mère n’a pu calmer, ou bien de l’absence d’un tiers permettant à l’enfant de sortir du lien placentaire, de surmonter ses frustrations et de grandir comme un être autonome. Au-delà du sevrage, la thérapie consiste à restaurer le périmètre de sécurité qui permettra au jeune addict de prendre goût à sa vie (y compris les odeurs et les saveurs), de devenir un être libre et, dans un stade plus avancé, de se tourner vers les autres et devenir acteur dans son environnement.

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Photo parue dans The Guardian

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