Le théâtre Arcola, dans un faubourg au nord-est de Londres, donne une pièce de Rebecca Lenkiewicz, The Painter, sur la vie de Joseph Mallord William Turner (1775 – 1851).
Le théâtre Arcola inaugure avec cette pièce de nouveaux locaux, une ancienne usine transformée. Un échafaudage de tribunes a été monté en forme d’U. Il n’y a pas de scène proprement dite : les acteurs jouent dans l’espace délimité par les tribunes. Les murs en briques apparentes, la précarité de l’installation et la proximité des acteurs donnent le sentiment de remonter aux origines de l’art théâtral.
La pièce commence en 1799. Bien qu’âgé seulement de 24 ans, Turner (joué par Toby Jones) est déjà un peintre renommé, même si son excentricité choque l’establishment. La maladie mentale dont souffre sa mère Mary (Amanda Boxer) s’est aggravée au point qu’il est nécessaire de la faire interner. L’enfance de Turner a été conditionnée par la folie de sa mère : elle rejetait violemment cet enfant contemplatif, dont on dit qu’il fixait le ciel au lieu de regarder où il mettait les pieds. Lorsque sa petite sœur agonisa, Mary pria devant Turner pour que Dieu prît la vie du fils au lieu de la fille. Toute sa vie, Turner porta l’angoisse de sombrer, lui aussi, dans la folie.
Deux femmes interfèrent dans la vie de Turner. Sarah (Niamh Cusak) est veuve. Elle lui fait la cour et finit par être enceinte de lui. Mais elle souffre de l’absence psychologique de Turner, obsédé par son art, qui ne la regarde pas vraiment : « nous vivons comme si quelqu’un nous trancherait la gorge si jamais nous jouions à la famille heureuse(…) Il faut que tu penses moins, Billy. Fais seulement confiance. Je suis là. Nous sommes là. » L’autre femme est Jenny (Denise Gough), une prostituée qui lui sert de modèle. L’amour de la vie de Jenny est son fils Noah, quatre ans lorsque la pièce commence. Noah est envoûté par la mer et les rivières, il dessine pour Turner, Turner dessine pour lui. Turner emmène Jenny et Noah à Margate, ville côtière où il a passé une partie de son enfance et où il a peint la mer. Noah voit en Turner un père. Mais celui-ci, sommé par Sarah d’abandonner « la pute », brise cette relation. « Tu es un lâche, Billy, lui dit Jenny. Tu te caches ici et tu es terrifié par quoi que ce soit qui s’approche de la vie réelle ». Jenny, qui pose pour Turner et dont le fils partage la passion pour la mer, rejoint le peintre dans sa vraie passion, et cela est insupportable à Sarah.
Il est difficile de suivre cette pièce, à cause de l’accent Cockney que le metteur en scène Mehmet Ergen prête aux personnages, parce que la pièce couvre un période de 30 ans qui s’achève à la mort du père de Turner, coiffeur devenu son assistant, et parce qu’elle est censée se passer dans plusieurs lieux, un bar, le salon de Sarah, l’académie de peinture alors que le décor se résume à l’atelier du peintre. Le lien entre l’évolution de l’art de Turner et les tourments de sa vie personnelle n’est pas clairement exposé ; des projections d’œuvres du peintre auraient peut-être suffi. Il reste que la pièce est suffisamment forte pour que le spectateur ressente le besoin de courir toutes affaires cessantes à la Tate Britain admirer les œuvres du peintre.
Il y a de magnifiques passages dans le texte de Rebecca Lenkiewicz. En voici un. Turner donne son cours à l’Académie. « Le sublime. Un événement noir. Un maelstrom. Il peut avoir sa propre beauté. Le capitaine d’un navire esclavagiste. Collingwood. On lui a dit qu’il serait assuré pour tous les noirs qui seraient perdus en mer. Mais pas pour ceux qui seront morts à l’arrivée. Il ne veut pas perdre d’argent, alors il inspecte des cales. Il rassemble les esclaves malades et qui pourraient ne pas survivre au voyage. Il les amène sur le pont. Au milieu de la nuit. La mer est noire. Et infestée de requins. Il ordonne à ses hommes de retirer les chaînes des esclaves. Et ensuite il les lance par-dessus bord. Ils crient. Luttent. Crient pendant quelques minutes. Et ensuite il y a seulement le bruit de la mer. Il pense que son crime est caché dans l’immensité de l’océan. Sous le couvert de la nuit. Un marin le raconte. C’est à nous de le peindre. De l’enregistrer. De mettre cet homme en accusation pour le reste de l’histoire. Oubliez les chiens. Les portraits. Les fleurs. Il y a quelquefois un devoir. D’enregistrer. Et de peindre une telle violence mais avec une beauté – qui serait quelque chose ».
Photo de la pièce « The Painter » : Toby Jones dans le rôle de Turner.
Une réflexion sur « The Painter »