Société14 novembre 20161Fin de vie

Jacques, notre voisin depuis près de vingt ans, a décidé de revenir dans sa maison pour y finir sa vie.

C’est en rapatrié sanitaire que Jacques est revenu de Toulon, où il était allé liquider des affaires. Les premières semaines, le retour à la maison lui a donné des ailes. Il marchait de nouveau, conduisait sa voiture, faisait son approvisionnement, prétendait prendre un repas par jour au restaurant. À quatre-vingt-douze ans, il a probablement présumé de ses forces. Deux nuits à une semaine d’intervalle, il est tombé, a été emmené à l’hôpital, en est revenu.

Il est maintenant alité. Des aides de vie viennent lui préparer ses repas trois fois par jour. Une dame de confiance pourvoit à son approvisionnement une fois par semaine. Une infirmière passe le matin et l’après-midi et s’occupe des soins et de la toilette. Paradoxalement, cette dépendance lui permet de reprendre des forces. Après l’avoir refusé (« à quoi bon ? »), il accepte maintenant la visite d’une kinésithérapeute. Son objectif est de pouvoir, un jour, se déplacer dans sa maison. La bataille sera rude, car les muscles sont atrophiés. Elle vaut certainement la peine d’être menée.

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Lever de soleil à Maubuisson

Je me trouve naturellement au cœur du dispositif d’aide. Des tâches aussi diverses que le paiement de charges sociales, le changement d’une serrure, l’organisation d’une visite du conseiller bancaire et jusqu’au déplacement délicat d’une chauve-souris confortablement pendue à une grille d’aération de la chambre de Jacques m’échoient au fil du temps.

Je me suis rendu hier à une conférence donnée par le patron de l’unité des soins palliatifs de Bordeaux sur le thème du face-à-face avec la fragilité, la souffrance, la finitude.

Beaucoup de paroles dites par le conférencier éclairent mon expérience présente. Il parle du rejet, de l’effroi, du vertige que suscitent la souffrance. Il est possible et nécessaire de réduire la souffrance, quand elle devient intolérable. Mais on ne peut vivre comme si elle n’existait pas. La souffrance physique, et aussi celle qui nait du deuil, de la perte, de la séparation, font partie de l’expérience existentielle.

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Coucher de soleil à La Réunion

La souffrance de la personne vieillissante peut être physique, mais elle est aussi morale : on ressent la honte d’être trahi par son corps, coupable de devenir un poids pour les autres, troublé par un sentiment d’absurdité.

Le conférencier insiste sur l’importance de concevoir des projets, même minimes : aujourd’hui, je ferai trois pas, demain quatre. Il faut une tension d’espoir, même si cet espoir change à mesure que s’imposent de nouvelles réalités.

Il parle de l’importance du corps, ce corps qui fait mal, ce corps qui trahit, mais aussi ce corps qui peut encore jouir de plaisir, ces sens qui peuvent s’éveiller : le toucher, l’odorat, le goût, la vue, l’ouïe. La bonne cuisine, le vin, la musique, la peinture, les mains qui se touchent.

Il souligne l’importance de ce moment si crucial de l’agonie. Et il mentionne que, curieusement, presque aucune recherche scientifique ne lui est consacrée.

Quelques phrases encore glanées pendant la conférence. « On ne peut pas regarder sa mort sans se brûler les yeux ». « Seul le malade peut faire un pronostic sur le temps qui lui reste à vivre, car seul il peut jauger la capacité de résistance de son corps. » « Un mourant, c’est un vivant jusqu’à la mort ».

One comment

  • Alfred Dupin

    28 novembre 2016 at 9h09

    J’ai beaucoup apprécié ton texte sur « le voisin »
    Je viens de lire « petit pays » de Gaël Faye. (prix des lycéens)
    C’est toute l’Afrique avec sa tendresse et sa violence.
    Mafnifique !

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